ALGER – Des centaines de milliers de soldats et policiers déguisés en civils devraient constituer la majeure partie des électeurs participant aux législatives prévues pour aujourd’hui, le 12 juin, a appris l’Algiers Herald de sources sécuritaires authentifiées. L’élection législative fait suite à une élection présidentielle et à un référendum constitutionnel largement boycottés.
Dans sa tentative de faire passer une élection rejetée par les Algériens, la junte militaire au pouvoir depuis près de six décennies, incarnée par le de facto président du pays Saïd Chengriha – et son porte-parole civil, Abdelmadjid Tebboune – ont promis des représailles contre quiconque oserait entraver la tenue de l’élection. Manifester son rejet de l’élection peut entraîner une peine de prison de 20 ans selon une loi récemment introduite, qualifiée de draconienne.
Les manifestations du vendredi 4 juin devaient marquer le 120e vendredi consécutif depuis le début du mouvement pro-démocratie « Hirak » en février 2019, cependant, pour le 4e vendredi consécutif, la junte au pouvoir a violemment réprimé toute tentative d’entamer la marche à Alger. Pour dissuader les marcheurs d’occuper les rues, plus de 65 000 policiers ont été déployés le vendredi 4 juin à travers la capitale Alger, selon les mêmes sources. Cependant, des marches sporadiques ont pu avoir lieu dans les banlieues environnantes, comme El Harrach.
La manifestation du 11 juin, soit à la veille de l’élection, n’a également pas pu avoir lieu à Alger, où un dispositif sécuritaire important à été mis en place pour dissuader les habitants de la capitale. A Tizi Ouzouz et Bejaia, ce sont des milliers de manifestants qui ont pu sortir pour dénoncer la tenue de l’élection.
Dans le centre-ville d’Alger, des contrôles d’identité et des fouilles corporelles sont systématiquement effectués sur des passants suspectés de participer au mouvement pro-démocratie. Interlignes – un média censuré par la junte – a rapporté comment un passant, qui prenait des photos de bâtiments et de monuments, s’est vu saisir son téléphone par un policier en civil qui a procédé à la suppression des photos avant de restituer le téléphone. Sur les réseaux sociaux, le déploiement impressionnant des forces de sécurité à travers la capitale a généré des comparaisons avec les tactiques de répression utilisées par la France coloniale avant la supposée indépendance du pays.
Le CNLD (Comité national pour la libération des détenus) a fait état de plusieurs arrestations tout au long de la journée, s’ajoutant aux 214 détenus politiques déjà purgeant des peines d’emprisonnement pour des accusations farfelues, dont le journaliste d’investigation Rabah Karèche. Cependant, les manifestations ont été autorisées à avoir lieu à Bejaia et Tizi Ouzou dans ce qui a été décrit par des analystes politiques comme une tentative de réduire le mouvement pro-démocratie à un mouvement régional, isolé et dirigé par une minorité.
Des soldats déguisés en civils pour donner l’impression d’une participation électorale
Des sources sécuritaires – dont un responsable des services secrets – ont affirmé lors d’un entretien avec le Algiers Herald que la junte militaire a donné des instructions verbales à ses conscrits militaires pour qu’ils participent à une opération soigneusement planifiée. Les conscrits qui refusent de voter s’exposent à des mesures disciplinaires. Le service militaire est obligatoire dans le pays.
Le jour du scrutin, des “caravanes d’électeurs” partiront à 6 heures du matin des casernes d’Ain Naadja, Bouchaoui et Blida à bord de bus banalisés, puis seront déposés dans les environs de chaque bureau de vote de la capitale et sa banlieue. À ce stade, les soldats procéderont à voter avant d’être acheminés au bureau de vote suivant où le même processus sera répété. Farouk I*, l’une des sources sécuritaires, a également affirmé que des agents des services secrets déguisés en journalistes seront déployés pour filmer les soldats déguisés entrant et sortant des bureaux de vote.
L’élection réussira-t-elle à légitimer Abdelmadjid Tebboune?
Très peu probable, déclare James K*, un diplomate britannique en poste à Alger, déclarant que “vous ne pouvez pas régner contre votre propre peuple et prendre tout un pays en otage”. Interrogé sur le même sujet, un diplomate allemand, Jonas R*, s’exprimant officieusement, a déploré la direction prise par le pays, déclarant que “l’Allemagne a des inquiétudes importantes quant à l’ingérence de la junte dans les aspirations du peuple algérien à une véritable démocratie“.
*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité de nos sources